Jean Bourtembourg, avocat de Muriel Targnion : son avis détaillé sur l'arrêt du Conseil d'Etat

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Renversée par la motion de méfiance qui a porté au maïorat Jean- François Istasse, Muriel Targnion a donc introduit un recours devant le conseil d’Etat, contestant le fait, notamment que l’on puisse faire une motion de méfiance individuelle et écarter de la fonction de bourgmestre une personne qui ne l’est pas encore. Pour rappel, les motions de méfiance individuelle à l’encontre d’Hasan Aydin et de Sophie Lambert avaient cet objectif : les récuser comme bourgmestre avant qu’ils puissent refuser le poste, car s’ils refusaient eux-mêmes, étant parmi les trois meilleurs scores de leur liste qui était la plus importante de la majorité, ils ne pouvaient alors ni être échevine ou président de cpas.  Le Conseil d’Etat a validé en extrême-urgence le principe de la double motion et la motion individuelle contre Hassan Aydin; il a par contre retoqué celle contre Sophie Lambert , parce que mal rédigée. L’ancienne majorité de Muriel Targnion a donc été remise en place. Pour l’avocat de cette dernière , la décision ultérieure sur l’annulation pourrait être encore plus tranchante: le Conseil d’Etat , indique-t-il, n’est pas obligé d’avoir la même opinion que dans son arrêt de suspension, et il peut aussi élargir l’opinion qu’il a de la question. Voici son analyse complète.

 

Urbain Ortmans :  Jean Bourtembourg, vous êtes l’avocat de Muriel Targnion et d’Alexandre Loffet ; tout d’abord votre analyse sur la décision en arrêt de suspension du Conseil d’Etat.

 - Jean Bourtembourg. : Au préalable, c’est un arrêt qui se prononce sur une demande en suspension en extrême urgence. Donc c’est un arrêt qui se prononce, et il l’est dit, « prima facie », autrement dit, à première vue ; et ce « première vue » signifie deux choses : que le Conseil d’Etat n’est pas obligé d’avoir toujours la même opinion sur un moyen que celle qui est exprimée d’une part et qu’il peut élargir l’opinion qui est exprimé dans l’arrêt d’autre part.

 Que dit cet arrêt ? Qu’en tout cas que pour une personne, Madame Lambert, dès lors qu’elle n’a pas été désavouée comme Bourgmestre, la circonstance qu’elle ait signé une présentation qu’un autre qu’elle comme Bourgmestre alors qu’elle était prioritaire implique qu’elle a renoncé à la fonction de Bourgmestre. Et si elle a renoncé elle ne pourrait plus devenir Echevine ; c’est ça la portée de la règle.

 - U.O. :  Vous dites que Sophie Lambert a renoncé définitivement pour l’avenir ?

 - J.B. : C’est la bonne question qui se pose, parce que renoncer à exercer la fonction de Bourgmestre ce n’est pas un acte administratif donc on ne peut pas retirer ou abroger…

Bref c’est une décision prise par un individu. Cette décision elle l’a prise. Certains soutiendront bien évidemment que l’ayant prise, c’est trop tard. Elle a passé son tour et elle ne peut plus devenir Echevine dans une autre configuration que celle du collège siégeant aujourd’hui.

 

- U.O. :  Et si le vote sur la motion de méfiance est supprimé ?

 

- J. B. : On ne supprimera pas le fait qu’elle a renoncé à être Bourgmestre.

 

- U.O. :  Néanmoins, pourrait-elle être Echevine dans la majorité que nous allons qualifier de « Muriel Targnion » ?

 -J. B. : Absolument, parce que l’on revient à la situation qui était la situation antérieure au vote de la motion de méfiance.

 - U.O. :  D’aucuns parlent du retrait du vote sur la motion de méfiance pour la remplacer par une nouvelle motion de méfiance qui tiendrait compte du libellé, tel qu’il aurait dû être en tout cas par rapport à Sophie Lambert, décrit par l’arrêt. Qu’en pensez-vous ?

 - J. B. : D’abord, il faudra, le cas échéant, préciser l’argumentation de ceux qui s’opposeraient à cette manière de voir les choses. Ainsi, la section législation du Conseil d’Etat a-t-elle considéré, de la manière la plus claire qui soit à propos de projets d’ordonnances bruxellois, qu’on ne peut pas décider dans une loi, dans un décret, dans une ordonnance, peu importe, que celui qui aura le plus de voix sur telle liste sera automatiquement Bourgmestre.

Il devra le devenir mais on doit passer par un vote du Collège, donc pour tous ceux qui voudraient ne pas dire qu’ils ont renoncés à être Bourgmestre et donc qui ont besoin d’une motion de méfiance, il sera soutenu qu’ils avaient besoin d’une motion de méfiance en qualité de Bourgmestre.

Deuxième chose, il faut encore que l’acte qui a été suspendu par le Conseil d’Etat n’existe plus. Pour le moment, provisoirement, tous ces effets sont suspendus mais il est encore là. Alors il faudrait, soit que le Conseil d’Etat l’annule, soit encore, en théorie, qu’il soit retiré. Qu’il soit retiré mais selon quelles modalités ? Là est toute la question.

Généralement, pour défaire un acte, il faut respecter toutes les formalités qui étaient prévues pour le faire. Que faudra-t-il faire en l’espèce pour pouvoir le défaire ?

Enfin, le code de la démocratie est rédigé d’une manière assez claire. Il énonce que c’est un an après le vote d’une motion collective que l’on peut recommencer à voter pour une autre motion collective. Mais le vote il a eu lieu… Ce vote est donc un fait. Le fait que l’on retire les délibérations issues du vote entraîne-t-il nécessairement que le vote n’a pas eu lieu ? Ce serait une question intéressante à discuter…

 - U.O. :  Dans l’hypothèse où le vote sur première motion de méfiance serait retiré dans les règles du parallélisme des formes : vous dites que dans les faits le vote a eu lieu et donc le délai d’un an existe toujours avant de pouvoir déposer une nouvelle motion de méfiance. Mais si on retire cette délibération, est-ce qu’il y a toujours un objet pour le recours en annulation ?

 - J. B. : Oui. Si l’on considérait que, nonobstant le retrait, le vote a eu lieu et que, malgré tout, on revote en ne respectant pas le délai d’un an, il y aurait évidemment un moyen pour critiquer le nouveau vote.

 -U.O. :  Ce qui veut dire que si on allait dans cette direction, on peut imaginer qu’un nouveau recours devant le Conseil d’Etat soit déposé ?

 J. B. : C’est évidemment fort possible, oui.

 - U.O. : Par rapport à la double motion de méfiance qui, au passage, a été validée dans cet arrêt en suspension, ne peut-on dire qu’en validant ce principe de motion de méfiance par rapport à Hassan Aydin , et donc la manière dont les choses ont été faites - même si vous avez indiqué que cela ne veut pas dire que sur le fond le Conseil d’Etat ne puisse pas revenir dessus – est-ce que l’on vide la loi de sa substance ?

 - J. B. : Le fait que l’on puisse déposer une motion individuelle et une motion collective, c’était bien connu, c’était bien validé, le Conseil d’Etat s’était déjà prononcé sur ce sujet avant . Alors cela n’a jamais été en discussion. Mais admettons maintenant que l’on puisse, en quelque sorte, déposer une motion de méfiance contre Monsieur Aydin sans qu’il soit Bourgmestre ; admettons donc que ce soit simplement la motivation de la motion déposée contre Monsieur Aydin en sa qualité d’échevin qui entraîne qu’il soit « dégommé », en quelque sorte comme Bourgmestre, sans l’avoir été ; ce qui est quelque chose d’un peu surprenant.

 Qui ne voit pas qu’il s’agit d’une véritable supercherie ? C’est comme dire à deux échevins actuels « Je vous chasse, je dépose contre vous une motion de méfiance, j’ai tellement de méfiance à votre égard que vous devez dégager. » Et dans la foulée, dans le même acte, « Je vous renomme tellement j’ai confiance en vous. » C’est évidemment détourner la procédure qui est prévue par la loi !

 On aime ou on n’aime pas cette loi. Il est vrai que la politique est une action collective et donc , de temps en temps, on peut se demander s’il s’agit de privilégier simplement celui qui a eu le plus de voix sachant que l’on peut obtenir une grande popularité en raison de différents éléments qui ne sont pas tous ceux qui vous rendent le plus apte à gérer une majorité dans la collégialité.  Parfait. Mais, à partir du moment où on décide que ce sera celui qui a obtenu le plus de voix, sur la liste qui a le plus de sièges, dans la majorité qui est constituée après les élections, on ne peut pas détourner cela !

Si, bien évidemment à un moment donné, on considère qu’un Bourgmestre n’a plus la confiance de sa majorité, la soupape de sécurité existe et on peut voter contre lui une motion de méfiance individuelle ; mais dire à l’occasion d’une motion de méfiance contre un Echevin, que cet Echevin ne plus être Bourgmestre alors qu’il ne l’a jamais été, c’est vraiment détourner la loi…

 - U.O. :  Par rapport à cet arrêt en suspension du Conseil d’Etat, la Ville de Verviers doit- elle faire quelque chose ?

 - J. B. : Personnellement, je ne suis pas l’avocat de la Ville de Verviers, je suis l’avocat des deux requérants devant le Conseil d’Etat (NDLR : Muriel Targnion et Alexandre Loffet), mais en règle générale, une autorité administrative qui se voit opposée un arrêt de suspension de l’une de ses décisions, alors même que le recours en annulation est pendant, ce qui est le cas ici, dispose d’un délai d’un mois pour demander la poursuite de la procédure en annulation. 

 - U.O. :  Pourquoi cela ?

 - J.B. :  parce que, lorsque le Conseil d’Etat suspend et que personne ne demande la poursuite de la procédure en annulation, il va annuler au terme d’une procédure abrégée. Il considère, en gros et c’est la loi, que l’auteur de l’acte attaqué ou le bénéficiaire de l’acte attaqué, lorsque qu’il y en a un qui est intervenu, ne s’oppose absolument pas à l’enseignement de l’arrêt. Ou plutôt, ne s’oppose pas à que ce qui fût considéré comme sérieux, c’est dans la suspension, devienne fondé, c’est l’annulation.

 - U.O. : En l’état actuel des choses, c’est la majorité que nous qualifierons « de Muriel Targnion » qui revient en place. Juridiquement, que se passe-t-il ?

 - J.B. : C’est elle qui gère la ville avec la plénitude des compétences puisque l’arrêt de suspension ne produit ses effets qu’à partir du moment où il est prononcé. Tous les actes accomplis par ceux qui paraissent avoir été installés de manière irrégulière, ne peuvent pas être contestés.   

 - U.O. :  Si, de facto, des majorités ne se dégagent plus, au sein du Collège Echevinal ou des Conseillers Communaux, lors des différents votes sur les grands dossiers, que se passe-t-il alors ?

 - J.B. : J’imagine que la grande sagesse va tomber sur l’esprit des différents Conseillers Communaux de Verviers et que tout le monde se dise que maintenant, il est temps de s’occuper des intérêts de la Ville…

 

 Propos suscités par Urbain Ortmans.

Transcription : Sammy Lepièce.

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