"La chambre confinée" (30) : Fred COLANTONIO "le héros ne peut pas y arriver tout seul"

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Au commencement était la criminologie. Promontoire de vision de l’âme humaine à nul autre pareil. Et de ce réservoir d’observation, Fred Colantonio a tiré une réflexion qui a nourrit tous les livres qu’il a écrits ces dernières années. Fred s’intéresse aux héros et à leurs modèles comportamentaux de réussite. Il a d’ailleurs créé une maison d’édition, "l’Attitude des héros", où il accueille des auteurs qui abordent ces questions. Il donne des conférences dans toute la francophonie, s’interrogeant sur les ressorts qui nous font avancer, relever les défis ou affronter la tempête. Alors... qui sont aujourd’hui nos "héros", nos "capitaines courageux", au sens donné par Rudyard Kipling ? C’était bien d’inviter Fred Colantonio à nous livrer son message de sa chambre confinée... C’est l’opus 30... 

-Fred Colantonio, vous avez développé, ces dernières années, le concept de «l’Attitude des Héros ©». Vos héros, à part Paulo Coelho qui a été confronté à la dictature brésilienne, ne sont pas des héros de période fracturée. Ce qui se passe aujourd’hui change votre regard ?

Pour répondre à cette question, il me paraît nécessaire de s’accorder sur ce que l’on entend par «période fracturée ».

Toutes les personnalités dont j’étudie les profils psychologiques et la trajectoire comportementale présentent les caractéristiques d’un parcours «entrepreneurial», dans la mesure où elles ont décidé de prendre leur destinée en main et de construire une vie sur lesquelles elles avaient une marge de manœuvre et de progression.

Oprah Winfrey, la célèbre reine des médias américaine, a été confiée en bas âge à sa grand-mère car ses parents se sont séparés dès après l’avoir conçue. Oprah a été éduquée par cette dernière à la baguette, au sens propre : elle était frappée lorsqu’elle désobéissait, à une époque où c’était admis dans l’éducation. À l’âge de neuf ans, elle a été violée par un oncle proche de la famille. Malheureusement pour elle, il en fut de même à l’âge de 11 ans. À l’âge de 14 ans, après une grossesse non souhaitée, elle a mis au monde un petit garçon qui est décédé dans les quelques jours qui ont suivi sa naissance.

Parmi les autres entrepreneurs que j’étudie, l’une des caractéristiques qui relie Steve Jobs, Jeff Bezos ou encore Elon Musk, c’est une enfance marquée soit par l’abandon du père et l’adoption (pour les deux premiers) soit par une enfance extrêmement rude et compliquée en Afrique du Sud (qu’il fuira dès qu’il sera adolescent) pour le dernier.

J. K. Rowling, la maman d’Harry Potter, vivait quant à elle comme jeune mère célibataire désœuvrée.

Alors, certes, on ne peut pas dire qu’ils aient vécu dans un contexte global de fracture planétaire, mais, ramenée à l’échelle de leur propre monde, leur situation était loin d’être évidente. À tout le mois n’était-elle pas particulièrement facilitatrice ou plus pré-disposante pour y arriver.

C’est l’un des mythes récurrents de la psychologie humaine : par défaut, nous avons tendance à croire que c’est toujours plus facile pour les autres.

Selon mes analyses, mes travaux de recherche, et aussi mes contacts sur le terrain auprès de personnes qui ont construit une trajectoire de vie qui sort de l’ordinaire et leur ressemble, il n’en est rien : chacun, à son niveau, doit faire face a l’adversité pour se révéler. Si c’était facile, d’une part cela se saurait, et d’autre part, tout le monde pourrait le faire.

C’est ce qui rend admirable, ou à tout le moins inspirant, le parcours de personnes connues ou inconnues qui ont créé la vie qu’ils souhaitaient vivre et qui, vraisemblablement, leur ressemble. Elles ont compris que personne ne s’en chargerait à leur place. Elles ont décidé d’être la personne qui tient le rôle principal dans une histoire, à savoir la leur. C’est ça, pour moi, la définition de "héros".

La situation actuelle ne change que très peu mon regard de ce point de vue, puisque dès le début de "l’Attitude des héros", j’ai insisté sur la coexistence des «héros sous les projecteurs» et des «héros du quotidien». Je vois, par contre, d’un très bon œil que ces derniers soient mis dans la lumière.

-Un héros, n’est-ce pas quelqu’un qui se révèle dans la tempête ?

L’héroïsme présente une double caractéristique. Les actes héroïques sont solitaires : personne ne s’en chargera à notre place. C’est la raison pour laquelle j’invite les personnes que je rencontre, que ce soit lors d’une conférence, lors de mes accompagnements d’entreprise ou les sessions de coaching business ou encore à travers mes livres, à devenir leur propre héros.

Le chemin à parcourir pour y parvenir dépend de chacun : à chacun sa montagne, à chacun son sommet. Mais il est clair que, quel que soit le point de départ et la destination visée, la transformation s’opère chemin faisant, dans l’action et sur le parcours. C’est lui qui nous permet de rencontrer l’adversité, qui va nous frotter à nos limites pour nous apprendre à nous révéler. C’est aussi en route que nous rencontrons les personnes qui vont nous aider à surmonter les obstacles et concrétiser notre accomplissement personnel. Beaucoup de personnes retiennent l’adversité, je lui préfère la transformation. 

Le résultat du processus héroïque fait que la personne revient à la fois pleinement elle-même mais, dans le même temps, elle est différente de qui elle était à l’heure d’entreprendre ce voyage de quête de soi.

Et c’est ici que la différence fondamentale entre l’héroïsme et l’égoïsme se situe : l’égoïste s’arrête à sa propre trajectoire, à son parcours individuel. Or, pour le héros, si les actes sont solitaires, les bénéfices sont solidaires. Une fois devenu pleinement qui il est, le héros a à cœur de faire profiter d’autres de sa démarche. En les inspirant, en jouant le rôle de mentor ou de passeur d’expérience, ou encore en rendant à la communauté comme beaucoup le font, par exemple. Chacun à sa manière, mais tous solidaires.

-La crise du Covid19 n’incarne-t-elle pas le retour du collectif, face à une société individuelle qui est en train de trembler sur ses bases ? Les héros de cette crise, sur quelles qualités s’appuient-ils pour avancer ?

Le collectif a toujours été là, il n’a jamais cessé d’exister. De tout temps, l’individu a su faire preuve de solidarité et d’entraide. À défaut de quoi notre espèce aurait déjà disparu de la surface du globe depuis longtemps.

Simplement, il semble que l’être humain, en tout cas dans nos sociétés occidentales, ait à la fois la mémoire courte et la mauvaise manie de privilégier les valeurs qui forgent le développement du seul individu, au mépris d’enjeux solidaires qui profitent à tous. La situation actuelle nous renvoie face à face avec ce modèle qui, clairement, n’est pas viable dans la longueur.

Trouver les bonnes personnes et s’entourer est le premier principe d’action que je recommande depuis longtemps, pour l’avoir constaté et vécu moi-même, pour réussir quoi que nous entreprenions. Il dame le pion à l’excuse et aux œillères qui consistent à nous croire seuls. Agir seul ne veut pas dire être isolé. Plus que jamais, nous avons besoin de resserrer les rangs entre nous, au sens figuré pour le moment.

Une incise d’ailleurs à ce propos : un terme comme «distanciation sociale» n’a jamais sonné aussi faux. Qu’il y ait une distanciation physique, c’est évident. Mais socialement, nous vivons un moment historique où nous sommes peut-être plus connectés et ensemble qu’auparavant.

À nouveau, le parallèle avec l’univers héroïque est évident : le héros ne peut pas y arriver tout seul. Pour accomplir sa quête, il a nécessairement besoin de s’allier à d’autres. La première figure qui me vient à l’esprit est celle de l’accompagnant, le sage expérimenté qui va permettre au héros ne se confronter à ses propres limites et les transcender.

L’autre image, pour tirer un parallèle avec les superproductions hollywoodiennes, ce sont les Avengers : fini le temps où Hulk, Captain Marvel ou Iron Man sauvent le monde en solo. C’est en équipe qu’ils œuvrent désormais.

À ce titre, il n’est pas étonnant de voir que les héros du quotidien qui sont valorisés aujourd’hui aient un esprit de corps si développé.

Ils sentent qu’ils appartiennent à quelque chose de plus grand qu’eux : ils sont au service d’une cause commune qui dépasse leur seule individualité. Nos femmes et hommes politiques feraient bien d’en prendre de la graine. Voilà bien une caste qui a perdu ces notions collectives de vue depuis longtemps, au profit de la gloire individuelle, de la cupidité et de l’avidité. Sans parler de la soif de pouvoir. Ce faisant, ils ont terni l’essence même de ce que devrait être la politique, dans son sens premier et étymologique : la gestion de la cité.

Les héros d’aujourd’hui s’appuient sur des qualités universelles qu’il serait grand temps de valoriser à nouveau :

  • l’intuition pour faire des choix guidés par nos tripes (quand on n’a pas le temps de tout analyser ni maîtriser, nous devons nous faire confiance pour parer au plus pressé),
  • le mentorat pour être accompagné et y arriver ensemble (c’est la seule voie possible),
  • l’humilité pour agir à notre mesure et apprendre de nos erreurs,
  • l’unicité pour miser sur nos forces afin de nous en sortir,
  • l’adaptation pour modifier rapidement nos comportements face à ce défi de taille qu’est la crise aujourd’hui,
  • et la naïveté pour croire encore que le meilleur est à venir.

Ces caractéristiques forgent notre humanité et nous distinguent des automates ou des machines.

-Pour les soignants, dans la tourmente, chaque mort peut être ressenti injustement comme un échec : c’est quoi l’échec et comment le dépasser ?

L’échec est un événement qui survient et qui contrecarre nos plans : nous passons à côté de l’objectif que nous nous étions fixés.

Pour les soignants, c’est particulièrement délicat puisqu’ils sont confrontés à la perte de vies humaines. Clairement, ils ne se lèvent pas le matin pour laisser les gens mourir, même s’ils savent que c’est inévitable : le taux de mortalité humaine est à ce jour de 100 %, puisque tôt ou tard, nous y passons tous.

C’est ce qui les rend d’autant plus admirables : toutes et tous mènent une lutte noble pour nous maintenir en vie le plus longtemps possible et dans les meilleures conditions qui soient. Qu’hommage leur soit rendu.

Pour dépasser l’échec, nous devons d’abord consentir à le reconnaître : la perfection n’étant pas de ce monde, nous ne pourrions les tenir pour responsable de notre finitude. Leur intervention ne consiste pas à empêcher notre mort -elle est inéluctable- mais à limiter l’éventualité qu’elle survienne à un moment où elle pourrait être évitée.

Ensuite, nous devons utiliser nos capacités de résilience : de manière générale, nous avons une résistance aux chocs bien plus grande que nous le croyons. Ça ne veut pas dire que c’est facile, mais bien que nous en sommes capables.

Pour y parvenir, nous devons miser sur nos forces : l’humanité n’a jamais accompli quoi que ce soit de positif, grand et durable en pariant sur ses faiblesses.

Enfin, nous devons garder le cap alors que nous savons que l’un des mantras actuellement en vogue dans le développement personnel «tout est toujours parfait» est un leurre. Pire, cette forme de prêt à penser m’horripile, parce qu’elle fausse la perception au profit d’une vision édulcorée du réel. Qui oserait l’affirmer en de telles circonstances ?

Au contraire, je suis partisan du fait que rien n’est jamais parfait, ce qui est très positif car cette lecture nous donne toujours un objectif vers lequel tendre, une marge de progression et des perspectives pour nous développer.

À quoi bon vouloir nous mettre en marche et nous développer si «tout est toujours parfait» ?

Non, tout n’est pas noir, mais dans le même sens, rien n’est toujours tout rose tout le temps. Arrêtons cette dictature de la pensée positive aliénante et incantatoire. Je lui préfère une psychologie lucide et résolument tournée vers l’action déterminée et constructive.

-Comment chacun peut-il être un héros dans son quotidien, dans cette période de confinement ?

Je n’ai pas vraiment de «conseil» à donner, car la situation dépend à nouveau de la sensibilité, de la perception et de la situation de chacun. Je peux proposer par contre une grille de lecture qui peut peut-être aider les lecteurs à voir comment avancer.

En premier lieu, il est important pour chacun de qualifier les faits : que se passe-t-il pour moi ? Autour de moi ? Pour les gens qui me sont proches ? À ce stade, il est question de pouvoir nommer ce qui est, pour le distinguer de tout ce qui relève de la construction mentale ou des pièges de notre cerveau (comme la peur ou le biais cognitif de la pensée tubulaire, par exemple : d’après ce dernier, nous restreignons notre champ de perception à quelques éléments, comme si nous regardions dans un tube. Ça nous fait perdre de vue une série d’informations périphériques qui pourrait assouplir notre perception et notre compréhension de la réalité, voire nous conduire à changer de point de vue).

Dans un deuxième temps, nous pouvons nommer ce que ça provoque chez nous comme émotion, négatives comme positives : tristesse, angoisse, désillusion… Mais aussi, peut-être, solidarité, empathie, détermination… nous devons admettre ce qui nous traverse sans nous juger. Ainsi, si une personne se sent indifférente à la situation, elle peut reconnaître cet état sans culpabiliser à cette étape. C’est ainsi.

Le troisième temps concernant notre réaction : de quoi avons-nous besoin par rapport à ce qui est lié aux émotions que ça génère en nous ?

À titre personnel, j’ai vécu cette situation avec une incapacité à pouvoir qualifier les faits de manière précise. J’avais bien quelques éléments, mais insuffisamment pour dresser un point de situation global. En a découlé, la première semaine, une émotion de «flottement» inconfortable. Je ne dis pas que je l’ai totalement acceptée, mais en tout cas je l’ai reconnue : elle était là, en moi, et j’ai choisi de «vivre avec» plutôt que vouloir l’enfouir ou la renier.

À l’issue de cette première semaine, mes besoins sont réapparus de manière claire : contribuer est l’une de mes valeurs fondamentales. Être connecté aux autres de manière interpersonnelle (de personne à personne) en est une autre.

Il en a résulté une action concrète : tous les jours, j’appelle 3,5, 7 personnes suivant mes capacités et le temps que je peux y consacrer, pour prendre de leurs nouvelles individuellement et personnellement. Je choisis plus ou moins au hasard : il y a des personnes que je connais très bien et avec qui je suis en contact assez fréquents, ou des personnes avec qui je n’ai plus échangé depuis plusieurs années. J’ai à cœur de leur montrer, à ma manière, que j’ai une pensée pour elles et que «je suis là».

A chacun sa façon de faire. Pour moi, celle-ci me convient bien. Et elle a déjà produit une série de résultats inattendus, en tout cas non escomptés à l’origine de ma démarche. Une des personnes m’a proposé d’organiser des webinaires pour soutenir des entrepreneurs ou des salariés qui se sentaient en difficulté dans sa communauté. Une autre m’a expliqué qu’elle avait parlé de moi pour intervenir dans son entreprise dès la fin du confinement. Une troisième m’a demandé de partager ma vision avec son comité de direction lors d’une visioconférence.

Alors que mon business -comme beaucoup- a souffert, plusieurs lumières se sont allumées, laissant entrevoir le bout du tunnel. Maintenant, pour y arriver, il faut le traverser…

Je souhaite à chacun de trouver ses propres réponses, en se méfiant du conformisme et en résistant à l’appel de la facilité du prêt à penser, d’apporter sa contribution, en évitant le piège de croire que ce serait insuffisant ou pas assez, et de vivre cette période délicate pour ce qu’elle est : une mise à l’épreuve de nos capacités, afin de révéler qui nous sommes vraiment.

 

Propos suscités par Urbain Ortmans et diffusés le 29 avril 2020.

 

 

 

 

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