A moins d’une heure du conseil communal de Verviers ( diffusé à partir de 19 heures sur Vedia), qui devrait mettre fin (momentanément?) à la saga politique de l’été, certains s’y perdent un peu… Qu’est-ce qu’une motion de méfiance constructive? Qui devient bourgmestre selon la loi? Et si les blocages subsistent , que se passera-t-il? Geoffrey Grandjean, professeur de science politique à l’U-Liège, a répondu à nos questions. Prenez ceci comme un petit manuel de survie, pour mieux comprendre ce qui va se passer ce soir, à la lueur de la complexité des lois, peut-être tout de même moins complexes que la nature humaine…
Geoffrey Grandjean, est-on arrivé à Verviers à une situation inextricable?
En tout cas, on voit qu’une solution est sur le point d’aboutir , mais peut-être sera-t-elle inextricable dans la mesure où il y a encore une incertitude au moment du vote qui va se présenter et dans ce cas, on pourra vraiment se demander si la situation est inextricable.
Qu’est-ce qu’une motion de méfiance constructive?
Cette motion de méfiance, elle est constructive jusqu’à un moment donné: on veut remplacer soit une majorité soit un membre du collège . L’idée est qu’elle peut être collective ou individuelle. Si elle est collective, c’est l’ensemble du collège qu’on veut remplacer, si elle est individuelle, c’est quand on remplace un ou plusieurs membres de ce collège individuellement. L’idée de ce caractère constructif, c’est d’éviter la politique de la terre brûlée, c’est à dire qu’il faut être positif , proposer une alternative lorsqu’on souhaite démettre quelqu’un ou un collège.
Cela vient en fait du droit allemand, où l’on appelle cela la défiance constructive: on peut faire tomber le gouvernement devant le Bundestag, mais il faut avoir une solution de remplacement immédiat pour éviter la vacance du pouvoir.
C’est cela, oui.
Selon le code de la démocratie communale, qui devient bourgmestre dans une commune?
Il y a deux conditions à remplir: d’abord il faut faire partie du groupe politique qui est au sein de la majorité, et plus précisément du groupe politique qui est le plus important au sein de ce pacte de majorité.Il faut être sur la liste du bon parti qui a négocié cette majorité. Ensuite, dans ce plus gros parti, on va chercher celui qui a fait le plus de voix aux élections communales et c’est lui qui devient le bourgmestre de la commune.
Ce qui se passe donc, les élections communales ont lieu, plusieurs partis se mettent autour de la table, ils commencent à négocier, on a enfin un pacte de majorité, on regarde dans ces différents partis quel est le plus fort, et c’est au sein de ce parti qu’on va chercher celui ou celle qui a fait le plus de voix. Pourquoi cette disposition en fait?
Cette disposition, elle avait pour objectif d’introduire une dose d’élection un peu directe du bourgmestre. C’est l’idée que les citoyens vont pouvoir indirectement choisir leur bourgmestre dans leur commune, mais en même temps, on a reconnu aussi un rôle aux partis politiques, puisque l’on va chercher le bourgmestre sur la liste la plus importante dans le pacte de majorité. Cela veut dire quoi? Que parfois, le plus gros parti d’une ville et la personne qui a fait le plus de voix sur cette liste peuvent ne pas recevoir le poste de bourgmestre. Si les autres partis décident de se mettre ensemble pour contrecarrer le plus gros parti ou le candidat qui a le plus de voix , c’est tout à fait possible. C’est l’idée qu’on a mélangé en quelque sorte deux légitimités, l’une électorale, on va chercher le bourgmestre qui est celui qui a fait le plus de voix, l’autre particratique , puisqu’on veut donner voix au parti dans la négociation.
A vouloir satisfaire tous les objectifs, est-ce qu’on n’en n’arrive pas finalement à n’en satisfaire aucun?
En tout cas, on voit qu’à Verviers, les dispositions actuelles posent véritablement question. Il faut combiner cela aux motions de méfiance puisque l’idée historique des motions de méfiance, c’est d’éviter que des collèges ne fonctionnent plus dans des communes. C’est pour cela qu’on a introduit ce dispositif en Région Wallonne. On se retrouve ici avec des dispositions qui permettent de désigner de manière quasi-automatique un bourgmestre, car il faut qu’il soit membre du parti principal du pacte de majorité, et en même temps on impose d’avoir cette motion de méfiance qui permet à une majorité de fonctionner. C’est là que se pose le problème à Verviers. Un majorité ne fonctionnait plus, on a déposé une motion de méfiance, et quand il s’est agi d’envisager le nouveau pacte de majorité, les problèmes sont apparus par rapport au candidat qui pouvait être potentiellement le bourgmestre.
Alors, beau casus ce soir à Verviers pour les étudiants en droit: on parle ici d’une double motion de méfiance… D’abord une motion de méfiance générale à l’encontre du collège…
L’idée , c’est donc de remplacer la majorité actuelle par une nouvelle majorité. Et là, il faut une majorité de signatures au sein de chaque groupe politique de la nouvelle majorité.
La nouvelle majorité comprendrait ce qu’on appelle le cartel ( MR-Nouveau Verviers-CDH) et le parti socialiste. Le parti socialiste reste le plus grand parti. Donc le ou la bourgmestre vient du parti socialiste. Muriel Targnion est toujours dans le groupe politique du PS, donc c’est assez difficile à comprendre, elle devrait faire l’objet d’une motion de méfiance individuelle, et si elle est écartée, c’est Hasan Aydin qui devient bourgmestre alors, puisqu’il est deuxième en voix, or…?
Normalement, c’est la règle , tout-à-fait, on redescend dans l’ordre décroissant du plus important au moins important en voix de préférence.
C’est alors la préoccupation du parti qui intervient alors , qui vient à côté de la préoccupation de la volonté du citoyen, puisqu’on en arrive à un bourgmestre qui émergerait et qui serait le septième en voix de préférence ( Jean-François Istasse) . Comment arrive-t-on à cela?
C’est là où la motion de méfiance construcitve collective qui va être posée ce soir va être combinée à des motions de méfiance individuelles, puisque l’idée, c’est que, par la même occasion, c’est que les conseillers communaux vont dire que certains élus ne peuvent pas être bourgmestre, c’est une motion de méfiance vis-à-vis de personnalités précises, en l’occurrence Muriel Targnion, puisqu’en effet Muriel Targnion a été exclue du parti socialiste en tant que tel, mais cela ne veut pas dire qu’elle ne fait plus partie du parti socialiste qui a été constitué pour les élections communales, elle est toujours membre de la liste socialiste au niveau du droit, et puis toute une série de conseillers communaux ne pourront pas devenir bourgmestre à travers ces motions de méfiance individuelles...
Mais ils pourraient dire eux-mêmes qu’ils ne veulent pas devenir bourgmestre, mais…
… Mais le problème, il est que au niveau des trois premiers candidats sur une liste, c’est que lorsque les trois premiers candidats renoncent à exercer le mandat de bourgmestre, alors ils ne peuvent plus siéger dans un collège communal. Or on voit bien que dans le cas de figure ici, Hasan Aydin qui occupait une des trois premières places, pour éviter qu’il renonce, on va le démettre par une motion de méfiance individuelle qui lui permettra de revenir dans le collège communal.
Même chose pour Sophie Lambert?
Exactement.
Ils ne s’écartent pas d’eux-mêmes, donc ils peuvent revenir, quant aux autres, eux, ils renoncent.
Oui, et on peut même aller plus loin quand on regarde qui a signé les motions de méfiance, on va voir que Sophie Lambert et Hasan Aydin n’ont pas signé les motions de méfiance individuelles puisque cela aurait pu être assimilé à un renoncement.
Oui, on est vraiment sur le fil par rapport au droit. Précisément: est-ce que c’est légal?
Je ne dirais pas que c’est légal, je dirais que ce n’est pas illégal. A mon sens, dans une perspective qui est celle du vide juridique, on n’a pas prévu ce cas de figure dans le code de la démocratie locale lorsqu’on a introduit cette disposition au début des années 2000. C’est le vide juridique qui va construire le droit, dans un premier temps c’est la tutelle et le Conseil d’Etat qui trancheront, puis le Parlement Wallon et le Gouvernement Wallon voudront peut-être réformer le code de la démocratie pour viser ce cas de figure.
La directrice générale du service public de Wallonie a indiqué que c’était ok pour elle, sous réserve évidemment de la position de la tutelle , ou sous réserve de l’issue d’une action au Conseil d’Etat. On déshabille la loi? Cela veut dire qu’elle ne fonctionne pas?
Cela veut dire que la loi ne règle pas tous les cas de figure , dans un système politique, tout simplement, et qu’un moment donné, les acteurs politiques sont amenés à se réapproprier la loi . Je ne serais pas étonné que dans quelques mois, on révise le code de la démocratie locale pour viser ce genre de cas. Je rappelle qu’il y a des communes où on a déjà joué sur le dispositif de la motion de méfiance mixte et que c’est passé moyennant le respect des procédures. Le Conseil d’Etat avait estimé qu’il fallait respecter certaines procédures pour ne pas commettre d’impair.
Comme les choses sont trop simples, compliquons-les encore un peu… Dans la jurisprudence, on trouve des situations similaires, mais pas les deux ( motion collective puis individuelle) en même temps…
Tout à fait! On va donc, c’est en tout cas ce que certains pensent, combiner les enseignements de jurisprudence pour des cas précis pour voir si cela peut fonctionner dans ce cas-ci .
Vous pensez qu’à la lumière de la situation verviétoise, il faudra changer la loi?
En tout cas, durant ces trois mois, on a opposé droit et éthique. IL faut permettre aux acteurs politiques de savoir dans quel jeu ils jouent concrètement sans devoir savoir si c’est éthique ou légal constamment, et de mélanger les arguments.
Quelque chose de plus mécanique, en fait…
Oui.
Ecolo va se tourner vers la tutelle, Muriel Targnion va aller vers le Conseil d’Etat en extrême urgence : comment cela va-t-il se passer?
Il y a le recours vers la tutelle qui prend sa c-décision, il peut y avoir ensuite le recours au Conseil d’Etat en extrême urgence et puis il peut aussi y avoir un recours en annulation, qui peut prendre un peu plus de temps pour annuler la décision, avec une particularité, c’est que le Conseil d’Etat peut , à terme, en effet, mettre à plat le pacte de majorité et la motion de méfiance. On recommence alors avec les mêmes acteurs qu’avant. Muriel Targnion a précisé qu’elle ne voulait plus être bourgmestre. Dans tous les cas de figure, la situation sera assez négative pour Verviers, ou pour son image.
Faisons de la politique-fiction : la procédure aboutit au Conseil d’Etat , les décisions de ce soir sont suspendues, en attendant le jugement sur une requête en annulation sur le fond?
Et on se retrouve avec le fait que c’est l’ancienne majorité qui continue à gérer les affaires.
Et en pareil cas, si Muriel Targnion ne veut plus être bourgmestre,elle doit démissionner?
Oui, exactement.
Si le blocage politique perdurait, que la ville était ingouvernable, c’est l’envoi du commissaire du gouvernement? Il fait quoi?
Il gère les affaires courantes. On va donc se poser la question de savoir ce qu’est une affaire courante. Comme cette situation est exceptionnelle, on n’a pas , au niveau communal, cela ne s’est pas encore vu ou je n’ai pas de cas à ma connaissance. Quel est le contour des affaires courantes? Si personne ne s’entend, le budget de 2021 relève des affaires courantes? Je ne souhaite pas cela à Verviers.
Un dossier comme City-Mall?
Pas affaires courantes…
La rénovation du Grand-Théâtre? Les fiches Feder?
Pas affaires courantes… Les affaires courantes, ce sont des décisions qui ont déjà été prises sur lesquelles il faut des décisions d’urgence ou des décisions administratives…
Et le Commissaire du Gouvernement reste combien de temps?
Le temps jusqu’à trouver une solution…
Donc nos responsables politiques sont obligés de trouver cette solution , d’une manière ou d’une autre.
Avec un problème, c’est qu’on ne peut pas avoir d’élection anticipée… sauf si les conseillers communaux venaient à tous démissionner de manière à devoir organiser des élections partielles ou de nouvelles élections, ce qui n’est pas le cas.
Propos suscités par Urbain Ortmans.